
La fréquentation des archives publiques (2/3) : les causes d’une baisse
- Rédigé par Alexis Moisdon
Dans un précédent billet, j’observais que les sites Internet des archives publiques connaissaient depuis 3-4 ans un décrochage en terme de fréquentation. Comment expliquer cette baisse de fréquentation alors que les archivistes ont continué ces dernières années à mener des campagnes de numérisation ?
Monde physique et monde numérique mis à dos
Le Service Interministériel des Archives de France publiait en 2015 l’enquête sur les publics des archives dont voici deux extraits : “(…) à l’aube de l’an 2000 s’ouvrait le premier site internet d’archives, inaugurant une longue série et préfigurant un nouveau type de public, virtuel celui-ci : les internautes” ; “(…) trois grandes catégories de public se distinguent aujourd’hui : les lecteurs, le public des activités culturelles et les internautes. (…) Les lecteurs se situent dans la première catégorie, le public des activités culturelles dans la seconde, les internautes pouvant être dans l’une ou l’autre des catégories, selon qu’ils consultent les documents numérisés ou les expositions virtuelles”.
Cette vision met dos à dos un monde qui serait “réel” ou “physique” peuplé de chercheurs, d’agents de l’administration ou de scolaires, et un monde qui serait “virtuel” ou “numérique” peuplé lui d’internautes. Le numérique est envisagé ici comme un critère de segmentation. Ce sont plutôt les centres d’intérêt des publics et leur niveau de connaissance des archives qui devraient être pris en compte pour segmenter les publics.
A lire : La fréquentation des archives publiques (1/3) : plus d’archives en ligne mais moins de visiteurs
Le numérique comme finalité dans les politiques des publics
Cette mauvaise segmentation des publics a cloisonné les dispositifs proposés in situ et en ligne. Là où in situ les moyens sont tournés vers l’accueil en salle de lecture, les communications, l’aide à la recherche, les actions pédagogiques ou les conférences, les services proposés sur les portails sont eux orientés sur la mise à dispotion d’outils de recherche, de contenus éditorialisés, d’actualités et d’informations pratiques.
Malheureusement, peu de ponts sont proposés entre les dispositifs in situ et ceux proposés sur les portails. Le numérique est au contraire un moyen de médiation au sein d’espaces multiples et variés (au domicile, dans une salle de lecture, dans le bureau d’agents administratifs, dans des salles de cours, dans une salle d’exposition, dans le bus, dans un espace public ,…) et entre des professionnels et des usagers (entre un archiviste et un usager, entre deux usagers, entre plusieurs usagers d’une même communauté d’intérêt, …).
Le numérique devrait donc être vu comme un moyen pour développer les possibilités de relation avec les publics et non comme une finalité dans la politique des publics.
Des portails d’archives peu centrés sur l’usager
Le cloisonnement des usages et des modes de médiation a des conséquences importantes sur les services offerts aux publics sur les portails d’archives :
- une mauvaise identification et compréhension des services proposés. A part les usagers habituels des salles de lecture, existe-t-il véritablement d’autres catégories de publics qui connaissent et fréquentent les portails d’archives ou savent quels services leur sont proposés ?
- un manque de personnalisation des services offerts. Peu d’efforts sont fournis pour cibler les contenus, les fonctionnalités et les services pertinents pour telle ou telle catégorie de public.
- des catégories de publics plus délaissés que d’autres. Les chercheurs en sciences humaines et les généalogistes sont des publics connus des archivistes. Les portails d’archives sont naturellement orientés vers ces profils et l’expérience de visite de ces sites correspond moins aux étudiants, aux curieux ou aux administrés.
- un manque d’efficience dans le traitement des sollicitations auxquelles doivent faire face les services d’archives. Les services d’archives continuent à répondre aux sollicitations en salle de lecture, mais commencent à voir grossir fortement les demandes d’aide à la recherche envoyées par email, les messages sur les réseaux sociaux auxquels il faut répondre au risque de dégrader sa réputation numérique,…
Vers une nouvelle génération de portails d’archives
Les portails d’archives n’offrent donc pas l’opportunité de visibilité et d’accroissement de fréquentation qu’ils devraient. Au contraire, on constate que s’ils ne s’inscrivent pas dans une démarche centrée sur l’usager, ils deviennent une source de cloisonnement et d’inefficacité.
Entre 2000 et aujourd’hui, les sites d’archives ont rempli le rôle principal qu’on attendait d’eux : offir un service d’accès à distance aux documents utiles aux généalogistes afin de diminuer la fréquentation de cette catégorie de public en salle de lecture. La cible était clairement identifiée, l’objectif également.
Le temps est venu pour les portails d’archives de porter une toute autre ambition : répondre efficacement aux attentes des différents usagers des archives afin d’ouvrir les archives au plus grand monde. Une ambition qui devra être portée par une transformation des modalités de relation entre les archivistes et les publics.
0 commentaire(s) on La fréquentation des archives publiques (2/3) : les causes d’une baisse